Pré-exister au dessin et y survivre_

Appareil pluridisciplinaire capable de seconder la maîtrise d’ouvrage dans ses fonctions et de lui assurer une permanence sur le temps long du projet, la démarche de programmation urbaine revient aujourd’hui sur le devant de la scène_

Depuis l’Antiquité jusqu’à la Révolution française on constate la mise en place de programmes architecturaux et urbains (édifices religieux, plan de ville en grille, places royales etc.) permettant de transmettre des valeurs et de reproduire un ordre social, défini comme mode de contrôle et de contractualisation dans l’acte de bâtir. Le « laisser faire » est cependant toléré dans la composition des espaces d’ordres plus privés, permettant à chacun, sans règle ou restriction (si ce n’est en terme de contraintes purement techniques), de concevoir ou programmer un lieu.

Au xxème siècle, cette méthode est remplacée par l’action de « faire » sur un modèle d’élaboration du projet que l’on qualifierait de « piloté » et au caractère planificateur. Elle donne lieu à une démarche de programmation permettant de rationaliser des « process » de construction et devenant l’outil de maîtrise du développement des territoires. La démarche de programmation urbaine s’ajoute à celle de programmation architecturale pour permettre la réalisation de « grands projets » dont l’étendue et la temporalité sont accentuées.

Aujourd’hui, la diversité du jeu d’acteurs et la complexification des projets implique la prédominance du « faire avec ». La programmation urbaine accompagne une maîtrise d’ouvrage décentralisée, à travers son champs de compétences considérée comme une expertise, posant ainsi les jalons d’une réflexion nouvelle sur sa posture et ses enjeux : pierre angulaire de la structuration du processus de projet, la programmation urbaine est avant tout une démarche qui représente la permanence de la maîtrise d’ouvrage dont le rôle est d’assurer, à travers ses arbitrages, la continuité de l’élaboration du projet dans le respect de ces objectifs territoriaux et de l’intérêt général.

S’extirper des effets d’annonces comme d’une spatialisation prédominante au profit de finalités de projet questionnant le contenu, la vocation : le projet de vie_

L’objectivité de la démarche de programmation urbaine est liée à son rapport contractuel à la maitrise d’ouvrage. Celle-ci lui garantit une totale indépendance vis-à-vis de la maîtrise d’œuvre urbaine et architecturale et lui permet d’être en capacité de proposer des scénarii objectivés par l’analyse des enjeux d’ordre politique, social, environnemental, économique et juridique.

Cette démarche indépendante, mais bel et bien concertée, offre un regard élargi sur l’opération d’aménagement, les acteurs investis et sa finalité programmatique. Elle nécessite donc de préfigurer à toute conception spatiale pour favoriser l’usage à l’image.

Cette nouvelle vision du projet permet notamment de mettre en avant le « déjà là », qui qualifie le potentiel des sites de projets aussi bien dans leurs dimensions urbaine et paysagère que sociale et économique. L’émergence de ce nouveau regard, opposé au modèle trop longtemps expérimenté de la tabula rasa, inclue aujourd’hui des acteurs liés aux territoires que la programmation urbaine intègre à sa démarche.

C’est ainsi que sous les dominations de « cadre de vie » et de « développement durable » s’inscrivent de nouveaux enjeux qui incitent acteurs, concepteurs et opérateurs à partager une dimension plus sensible à l’usage qu’au pur besoin quantifié.

Nouvelle méthode de gré à gré, la programmation urbaine instaure un dialogue « programme-projet » permettant notamment de tenir bon sur les finalités «politiques» du projet lors de sa spatialisation.

L’émergence de l’expérimentation de la programmation, à travers l’urbanisme transitoire, semble, à ce titre, être la traduction d’un consentement autour de la nécessité de l’incrémentalisme de cette démarche au cours du projet : l’aboutissement d’un programme pré-opérationnel, dont la matière aura été successivement et conjointement interrogée et réintégrée au projet de spatialisation pour finalement atteindre un contexte « pré-immobilier » stabilisé, est véritablement l’incarnation de la permanence de la maîtrise du projet sur toute sa temporalité.

Si le paradoxe supposé entre incrémentalisme et programmation prend racine dans l’idée reçue de la cristallisation de cette dernière, c’est bien à ce préjugé qui devra être repensé_